jeudi 31 janvier 2008

Jérôme Kerviel, l'homme par qui le scandale SG est arrivé

(Easybourse.com) Alors qu'il n'a été promu qu'il y a deux ans au département trading de la Société Générale, Jérôme Kerviel, serait à l'origine du plus grand scandale financier de l'histoire. Les positions frauduleuses qu'il a pris sur les contrats futures ont coûté 4,9 milliards d'euros à la Société Générale et le job à tous ses supérieurs hiéarchiques. Qu'est ce qui a fait basculé ce jeune homme discret d'un statut de trader à celui de fraudeur ? La Société Générale n'aurait t'elle pas pu éviter ce scandale ? Il y avait Nick Leeson et Yasuo Hamanaka, il y a désormais Jérôme Kerviel, trader, désormais vedette, à qui l’on doit la plus grosse perte jamais réalisée sur des positions de marché : 4,9 milliards d’euros.

Alors qu’il vient de fêter ses 31 printemps, Jérôme Kerviel est au cœur du plus grand scandale financier de l’histoire.

Une fraude record

L’ampleur de cette fraude est telle qu’elle a mobilisé la Banque de France depuis le week-end et a obligé la Société Générale à annoncer dans la précipitation une augmentation de capital de 5,5 milliards d’euros pour rétablir son ratio de solvabilité.

Cette «paume» abyssale a relégué loin derrière celles de prédécesseurs désormais connues que sont Nick Leeson à la Barings en 1995 (1,4 milliard de dollars), Toshihide Iguchi chez Daiwa Bank (1,1 milliard de dollars) ou Yasuo Hamanaka chez Sumitomo (2,6 milliards de dollars).

Elle suscite naturellement de nombreuses interrogations tant sur les défaillances des systèmes de contrôle du groupe que sur le niveau réel de responsabilité de ce trader junior.

Sur ce dernier point, Daniel Bouton a été clair. Le désormais ex-trader de la Société Générale -selon Pierre-Yves Morlat, supérieur hiérarchique de Jérôme Kerviel, ce dernier et son supérieur direct ont été licencié-, dont il s’est bien gardé de révéler le nom, est seul à l’origine de cette «fraude exceptionnelle»…Selon lui, «c'est une histoire extraordinaire», allant jusqu'à parler de véritable «personnage de fiction» et reconnaissant «l'incroyable intelligence» du trader qui aurait monté un système d'une rare complexité. Par ailleurs et selon l’AFP, Jérôme Kerviel aurait été décrit comme un «génie informatique» par certains de ses collègues, tandis que la direction évoque, auprès des syndicats, «un être fragile» traversant des «difficultés familiales».

Les services de la banque n’ont découvert que vendredi l’exposition gigantesque accumulée par ce trader «fou» au cours des dernières semaines. Elles ont, avec le concours de l’intéressé, dressé un état des lieux très précis des positions prises et à cette occasion découvert que l’exposition du groupe portait sur plusieurs dizaines de milliards d’euros !!!

Elles ont donc choisi de ne rien divulguer et tenter de «sauver les meubles» en débouclant les positions durant la journée de lundi. Par malchance, les marchés ont connu un mini-krach ce jour-là, avec une chute de 6% en moyenne sur les indices européens…

La suite nous la connaissons, puisque le groupe s’est fendu d’un communiqué ce matin dévoilant l’ampleur des dégâts. La perte est donc de près de 5 milliards d’euros et elle a occasionné la mise à pied de Jérôme Kerviel… mais également de tous ses supérieurs hiérarchiques. Daniel Bouton, lui-même, a présenté sa démission mais le conseil l’a refusé.

Notre enquête montre que rien ne prédestinait à un tel fiasco. «Discret» et «travailleur», selon des proches, Jérôme Kerviel a gravi un à un les échelons qui mène au sacro saint d’une banque, la salle des marchés.

Vedette malgré lui

Diplômé de Lyon 2, il a rejoint la Société Générale en 2000 et a été promu trader en 2005 dans le desk DEAI, c'est-à-dire les dérivés actions et indices, une activité dans laquelle la SocGen est reconnue mondialement et qui a fait sa réputation. Une nomination qu’il doit à sa bonne connaissance des produits financiers et à une disponibilité de tous les instants –il lui arrivait régulièrement de faire des journées de 14-15 heures, d’après une personne qui le fréquentait.

A la différence de certains traders, Jérôme Kerviel n’est pas une star dans la salle de marché de la Société Générale. Il n’en a ni le profil –il vient du back office et n’est pas diplômé d’une très grande école-, ni le statut social, puisqu’il ne percevait «que» 100 000 euros par an, bonus compris, ce qui le positionne clairement en queue de peloton de son département.

La direction de Société Générale a admis qu’il n’avait pas cherché à arrondir ses fins de mois en prenant des positions inconsidérées sur les futures, ce qui correspondrait d’ailleurs à son tempérament.

C’est la raison pour laquelle certaines personnes pensent qu’il n’est qu’un «fusible» dans ce feuilleton, dont il est devenu la vedette malgré lui. Ils font valoir qu’il n’était qu’un «junior» et qu’à ce titre, il ne disposait pas des moyens de dissimuler un montage aussi énorme.

A cela, la direction de la Société Générale a répliqué en évoquant la mise au point d’un montage particulièrement astucieux, qui consistait à neutraliser des prises positions réelles par des écritures fictives. Une manipulation qui n’a été découverte que vendredi lors d’un contrôle.

Les enquêtes diligentées par la Banque de France et la Commission bancaire devraient lever le voile sur cette affaire.

Il a en va de la réputation de la Société Générale, qui a été écornée par ce scandale, relayé dans la presse mondiale.

Des questions sur l’ampleur des pertes

Jérôme Kerviel a pris des positions « directionnelles » sur des futurs sur indices européens en pariant sur un rebond des marchés en 2008. Comme un joueur de casino qui pense pouvoir « se refaire » après avoir perdu sa première mise au jeu, il a du se livrer à une fuite en avant puisque le motif d’enrichissement personnel a été écarté dans cette affaire. Selon des sources de marché, le « trader fou » de la SocGen aurait accumulé une exposition représentant entre 30 et 60 milliards d’euros soit l’équivalent d’une à deux fois les fonds propres de la banque !!!

L’alerte n’a été donnée que vendredi et les réunions de crise se sont succédées tout le week-end pour déterminer quelle attitude adoptée face à cette situation catastrophique, menaçant potentiellement l’existence même de la banque en cas de krach. Il a été décidé, au regard des conditions de marché, de l’exposition du groupe et de la volatilité des indices, de déboucler toutes les positions en début de semaine.

D’une perte potentielle évaluée à ce moment, entre 1 et 2 milliards d’euros, la facture s’est envolée en raison de la chute spectaculaire des indices boursiers lundi puis mardi.

Au final, la perte frauduleuse a donc atteint le montant historique de 4,9 milliards d’euros, un niveau équivalent au bénéfice enregistré par le Groupe sur l’ensemble de l’année 2006 !
Aurait t’on pu éviter le pire ?

D’après certains opérateurs de marché, cette perte aurait pu être moins élevée si la banque n’avait pas agi dans la précipitation en début de semaine et choisi au contraire d’attendre une accalmie pour solder ses positions dans de meilleures conditions.

Pour apprécier de manière objective la situation, il faut se replacer dans le contexte des séances de lundi et mardi et appréhender le risque majeur encouru par la Société Générale.

Déstabilisés par les risques de récession aux Etats-Unis, les indices asiatiques puis européens se sont littéralement effondrés en début de semaine. Le CAC40 a ainsi perdu près de 7% en clôture lundi puis s’est déprécié de 5% supplémentaires lors des premiers échanges mardi, ravivant les craintes d’un krach boursier. La vague de vente qui a fait plier les marchés en début de semaine a certainement été amplifiée par les ordres passés par la SocGen mais ils n’en sont pas à l’origine puisque la première salve est venue d’Orient. Surveillant de manière étroite l’évolution des marchés, la Réserve Fédérale a été contrainte de recourir aux grands moyens pour éviter une débacle aux conséquences dramatiques. Elle a ainsi abaissé de 75 points de base ses taux d’intérêt mardi, décision surprise qui a permis aux indices de reprendre de la hauteur.

La Banque de France a été averti dès le week-end de l’exposition de la deuxième banque hexagonale mais elle n’aurait pris contact avec son homologue américaine que mercredi d’après certains médias anglo-saxons ce qui soulèvent là encore des interrogations.

Pour en revenir à la position de la Société Générale, une attitude attentiste aurait certes pu être adoptée au siège de la Défense mais la détérioration brutale du climat boursier imposait d’intervenir vite pour éviter un risque systémique réel..

Une banque fragilisée et vulnérable

Cet épisode tragique dans l’histoire de la Société Générale risque de porter un préjudice très important à la réputation jusque là excellente de la banque de la Défense.

Outre la dégradation de sa note à long terme, décidée par Fitch (AA- au lieu de AA) et en suspens chez Standard&Poor’s, la Société Générale a vu sa capitalisation s’effondrer au cours des derniers jours, tombant à seulement 35 milliards d’euros.

Une aubaine pour les prédateurs qui ont conscience de la qualité des actifs de Société Générale et du caractère « exceptionnelle » de la fraude dont elle a été victime.

Un dossier qui devrait donc être étudier par les géants du secteur, y compris les établissements hexagonaux, en tête desquels BNP Paribas et Crédit Agricole. La presse britannique s'est faite l'écho ce matin d'un intérêt de Barclays et d'Unicredit.

De quoi alimenter la spéculation sur l’avenir de la Société Générale et de son président, qui a été maintenu dans ses fonctions par le conseil mais qui sort très affaibli de ce feuilleton qui n’a pas peut être pas encore livré tous ces secrets.



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